Le point sur le développement de la franchise en Tunisie

Entrevue avec Monsieur Tarek Yazidi: Expert de la franchise au Canada, conseiller de plusieurs franchiseurs internationaux, et cofondateur du réseau Occasion Franchise au Québec
Q : Quelle est la situation de la franchise en Tunisie aujourd'hui ?
Tarek Yazidi
Malheureusement, il n’y a aucune donnée statistique ou étude approfondie pour recenser les franchiseurs et les franchisés en Tunisie. Cependant, nous pensons qu'il y a aujourd'hui plus de 50 franchiseurs et plus de 200 points de vente franchisés dans le pays.
Il est important de signaler que ces chiffres ressemblent à ceux du marché marocain en 1996, il y a un peu moins de 20 ans.
Depuis 2009, la Tunisie a attribué près de 28 autorisations de franchise, dont la moitié en faveur d'enseignes américaines et 6 pour des marques françaises. « Près de 50 % des demandes concernent le secteur de la restauration et 11 % le secteur des cafés », a indiqué Khaled Ben Abdallah, directeur du commerce intérieur au ministère du Commerce et de l'Artisanat, lors d'un séminaire organisé par la CCIT, le 17 septembre 2014 à Tunis.
La bonne nouvelle, c’est que la franchise en Tunisie commence à gagner du terrain. Le modèle d’affaires devient de plus en plus populaire parmi les entrepreneurs tunisiens, qui sollicitent de plus en plus les franchiseurs étrangers, ainsi que les entreprises tunisiennes qui voient la franchise comme un levier de développement pour leurs réseaux.
La vulgarisation de la franchise en Tunisie est principalement due à des initiatives individuelles continues depuis l’adoption du texte de loi sur la franchise en 2009, ainsi qu’à l'organisation de quatre éditions du salon de la franchise par la CCIT, des séminaires organisés par la mission commerciale des États-Unis en Tunisie, et d'autres organismes. Cependant, jusqu’à présent, aucune initiative sérieuse du gouvernement tunisien n’a été constatée dans ce domaine, mis à part la publication des textes de lois.
Q : Comment qualifiez-vous la législation actuelle ?
Tarek Yazidi
La loi sur la franchise en Tunisie, annoncée en juillet 2009, était très décevante, avec seulement trois articles définissant la franchise et énumérant sommairement la relation entre franchiseur et franchisé. Cependant, la loi de 2010 a comblé certaines lacunes laissées par la loi de 2009 :
- Meilleure spécification des obligations du franchiseur avant et après la vente de la franchise.
- Introduction du document d’information précontractuel (DIP), également connu sous l’abréviation de DIP ou "disclosure document" pour les anglophones.
Malheureusement, cette même loi limite les franchises étrangères à 26 secteurs en Tunisie, les autres secteurs étant soumis à autorisation.
Bien que je trouve ce texte de loi intéressant et relativement complet, il présente des limites :
- Il ne mentionne pas clairement les obligations explicites du franchiseur envers ses franchisés, qui sont souvent à l’origine des conflits entre les deux parties.
- Le DIP ne couvre pas tous les points nécessaires pour protéger au mieux le franchisé tunisien.
Q : Quel avenir et quelles perspectives pour les franchises locales ?
Tarek Yazidi
Je suis très confiant que la vulgarisation du modèle d’affaires de la franchise se réalisera bientôt parmi les entreprises tunisiennes en quête de développement et d’expansion. Cependant, il est essentiel de continuer à promouvoir la franchise et de sensibiliser les entreprises à considérer ce modèle comme un levier de développement parmi d'autres solutions connues sur le marché tunisien.
Une fois que les "success stories" se multiplieront grâce à ce modèle d’affaires, de nombreuses entreprises tunisiennes l’adopteront certainement.
Il faut cependant être conscient que malgré les nombreux avantages que la franchise peut offrir, comme un faible taux d’endettement, le partage du risque et l’efficacité d’un associé opérant au lieu d’un gérant salarié, l’entreprise doit également intégrer un nouveau métier qui s’ajoute à son activité existante.
J’ai été en contact avec plusieurs franchiseurs potentiels tunisiens désireux de se développer en franchise. Malheureusement, j'ai dû refuser de collaborer avec eux pour le moment, car la compréhension des obligations du franchiseur envers le franchisé n’est pas encore bien établie, et il existe une tendance à "tunisifier" ou abréger le modèle d’affaires.
La franchise repose sur une coopération entre entreprises indépendantes, fondée sur des méthodes spécifiques. Sans ces méthodes, le réseau de franchise ne pourra pas prospérer. J’ai donc préféré retarder ma collaboration avec ces futurs franchiseurs et continuer à promouvoir ce nouveau concept, dans l’espoir de bâtir une base solide dès le départ.
Q : Comment rendre la Tunisie plus attractive dans le domaine, surtout si l'on se compare au Maroc et à l’Égypte ?
Tarek Yazidi
Partir en franchise, c’est entrer en affaires. Cela nécessite, comme pour toute autre entreprise, un contexte économique favorable et un climat social stable et sécurisé.
Deux niveaux sont cruciaux pour rendre notre marché plus attractif pour les franchiseurs internationaux, comme c’est le cas au Maroc et en Égypte :
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Stabilité économique, sociale et sécurité nationale : Pour tout investissement étranger en Tunisie, les franchiseurs sont moins exigeants, car ce sont les entrepreneurs tunisiens devenus franchisés qui assument l'ensemble du risque du projet.
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Promotion du marché tunisien : Le gouvernement tunisien doit promouvoir la franchise auprès des franchiseurs internationaux et reconnaître qu'elle est une solution pouvant réduire le taux de faillite des petites entreprises en Tunisie, créer des emplois durables, améliorer la qualité du service et lutter contre la contrefaçon.
En comparant les marchés tunisien et marocain, il semble que la Tunisie puisse accueillir facilement plus de 3 000 établissements franchisés en moins de 5 ans, si le marché devient favorable. Pour cela, il est nécessaire d'initier une dynamique ou un propulseur sérieux dans l’économie, un rôle que le gouvernement tunisien peut jouer efficacement.
Entrevue publiée dans le numéro d’octobre du magazine Entreprises Magazine.